Sélectionner une page

Ligne Lyon-Turin : « Sur ce projet, où en est on »

Processus de décision grippé, manque de cohérence avec l’Italie, enfumage sur l’impact écologique… Le chantier cumule les difficultés côté français au grand dam des acteurs favorables au projet.

Des manifestants contre la ligne LGV Lyon-Turin à Saint Michel-de-Maurienne, en Savoie, le 7 mars 2015

Des manifestants contre la ligne LGV Lyon-Turin à Saint Michel-de-Maurienne, en Savoie, le 7 mars 2015

Stéphane Guggino est délégué général du comité pour la Transalpine,un organisme créé en 1991 qui rassemble les collectivités publiques et les entreprises ferroviaires militant pour la réalisation du tunnel Lyon-Turin. Cette structure, présidée à ses débuts par Raymond Barre, continue de pousser en faveur du projet de nouvelle ligne. Mais aujourd’hui, son porte-parole s’avoue dépassé par la tournure des événements. Selon lui, les bonnes questions ne sont pas posées. Les vieux discours erronés sur l’impact écologique continuent d’être repris en boucle, alimentant la contestation. Ainsi le collectif Les Soulèvements de la Terre appelle à deux jours de manifestation ce week-end contre le tunnel. Il s’agit pourtant d’un des projets les plus importants d’Europe en matière de transport décarboné. Ambiance.

Pourquoi ce projet de ligne ferroviaire prend-il autant de temps ? Est-ce avant tout un problème financier ?

Stéphane Guggino : En partie seulement. Côté français, le creusement du tunnel sous les Alpes avance et monte en puissance. S’agissant des voies d’accès à l’ouvrage transfrontalier, une déclaration d’utilité publique a été prise en 2013 mais depuis rien n’a été fait. Nous avons surtout discuté, échangé… Dans un premier temps, tout le monde avait les yeux rivés sur le tunnel sans que l’on se préoccupe vraiment des accès. Puis quand le tunnel a franchi le cap de l’irréversibilité, on s’est aperçu qu’il y avait encore une section de 140 kilomètres à réaliser. Et depuis, nous tergiversons. Vous avez raison, l’un des problèmes est financier. L’Etat qui prend en charge la partie centrale de la ligne (celle qui passe sous la montagne) souhaite que les collectivités cofinancent la partie reliant Lyon au tunnel. Au total, la France doit trouver 5 milliards d’euros sur 20 ans, le reste étant pris en charge par l’Europe et l’Italie. Mais si notre pays n’est pas capable de financer un tel montant, c’est inquiétant.

Les Italiens commencent justement à s’exaspérer devant le retard pris par la France

À juste titre. Côté italien, cela fait cinq ans que le projet des voies d’accès au tunnel transfrontalier est finalisé sur un plan technique. Les financements et le modèle d’exploitation sont clairement détaillés. Coté français, nous sommes très en retard. Les arbitrages entre les différents scénarios de tracé permettant de relier Lyon à l’entrée du tunnel sont toujours en attente. En début d’année, un rapport a proposé de repousser les voies d’accès au-delà de 2045 et de se contenter, d’ici là, de rénover la ligne de fret historique Dijon-Modane. Or les collectivités locales n’en veulent pas. D’autant qu’elle n’est pas calibrée pour recevoir un volume suffisamment important de marchandises… A l’ouverture du tunnel en 2032, les Italiens seront capables de faire passer 162 trains par jour, à un gabarit dit P400 permettant la massification du fret. Côté français avec Dijon-Modane, nous serions à moins de 100 trains par jour avec un gabarit inférieur. En d’autres termes, si rien ne change vous aurez un énorme tuyau connecté à un tout petit robinet. La France risque de devenir un goulot d’étranglement. Il y a quelques jours, le ministre Clément Beaune a donné un signal positif en rappelant l’importance des accès au tunnel. Il a aussi débloqué trois milliards d’euros. Mais sans donner de calendrier.

L’Europe s’impatiente elle aussi ?

Absolument. L’Europe, comme l’Italie, nous demande de prendre une décision claire. Aujourd’hui, un train met 4 heures pour effectuer les 270 km qui séparent Turin de Lyon. Vous mettez moins de temps en voiture. Avec la nouvelle ligne, on passera à deux heures de trajet. Mais en élargissant la focale, le tunnel devient un maillon permettant de connecter les réseaux européens de transport entre l’est et l’ouest de l’Europe. C’est la pièce d’un puzzle beaucoup plus large. On dit Lyon-Turin mais en fait c’est aussi Paris-Milan ou encore Barcelone-Milan. Dans le cadre du Green Deal, l’Europe ambitionne de faire sauter le goulot d’étranglement alpin et de relier des milliers de kilomètres de voies. Dans ce contexte, elle n’apprécie guère la non prise de décision française alors qu’elle propose des financements considérables.

Comment expliquer l’apathie des décideurs français ?

La rentabilité socio-économique d’un projet comme le Lyon-Turin ne peut s’apprécier que sur le long terme. Elle ne correspond pas forcément à l’horizon politique. Par ailleurs, il y a au coeur des administrations centrales quelques rouages qui n’apprécient pas toujours, en dépit des apparences, d’avoir à s’aligner sur la stratégie européenne. Enfin, et c’est peut-être plus problématique encore, le Lyon-Turin est encore considéré depuis Paris comme un projet régional alors qu’il s’agit du plus grand chantier européen d’infrastructures de mobilité bas carbone pour voyageurs et les marchandises ! S’il concernait la région parisienne, on peut imaginer que les choses iraient plus vite. Nous faisons donc face à une situation paradoxale : le projet coté français avance au ralenti alors que plus de 80 % de la population souhaite son accélération. Tous les élus locaux sauf les écologistes et La France insoumise, soutiennent l’initiative.

L’appel à manifestation de ce week-end risque d’envenimer la situation. Que pensez-vous des arguments écologiques avancés pour stopper le projet ?

Il y a dix ans, une poignée de militants d’extrême gauche ont construit un narratif qui, depuis, a cheminé partout, aboutissant à la manifestation de ce week-end. Pourtant, les Suisses à quelques dizaines de kilomètres de là, ont construit trois tunnels comparables à celui qui est en cours de creusement. Grâce à ces infrastructures, ils ont enlevé 70 % des marchandises de leur route pour les mettre sur le rail. Là-bas, même les écologistes sont ravis du résultat. D’autant qu’il n’y a pas eu de souci de drainage massif d’eau ou de sources taries. En France, Jean-Luc Mélenchon a affirmé que le tunnel Lyon-Turin « vide l’eau des Alpes qui tombe dans le trou qu’on creuse ». Et de manière incroyable, cette phrase est reprise en boucle par les opposants alors qu’elle ne possède pas la moindre validité scientifique. En vérité, les ruissellements de l’eau restent contrôlés de près par le maître d’ouvrage TELT en lien avec les autorités. Mais pourquoi le tunnel entraînerait une série de catastrophes ici et pas en Suisse ?

L’autre argument des écologistes porte sur l’impact écologique du chantier. Peut-on le quantifier ?

Un chantier de cette envergure a toujours un impact sur l’environnement. Mais il faut le mesurer à l’échelle de la durée de vie de l’infrastructure. Dans tous les cas, le bilan écologique est positif. Il faudrait une quinzaine d’années pour amortir l’impact des émissions de CO2. Au bout de cette période, l’ouvrage permettrait d’économiser chaque année un million de tonnes de CO2 par an sur 150 ans (la durée de vie de l’infrastructure). C’est l’équivalent d’une ville comme Nice ou Montpellier. Cependant, ces arguments ne veulent pas être entendus. D’autres chiffres circulent. Certains viennent par exemple d’un rapport de la Cour des comptes européenne. Sauf que le passage en question a été écrit par un expert qui s’est avéré être une figure du plus gros lobby routier français ! En saisissant officiellement la Cour des comptes européenne, qui a reconnu que les analyses n’engageaient que son auteur, le comité de la Transalpine a pu lever le lièvre. Mais la désinformation continue. On n’est plus dans le rationnel.

APPIS

Lyon-Turin : 2000 opposants déterminés à manifester malgré l’interdiction, les forces de l’ordre quadrillent la zone

Bien décidés à manifester, 2 000 opposants au chantier de la ligne ferroviaire Lyon-Turin sont actuellement rassemblés sur la commune de La Chapelle, en Maurienne. Des contrôles sont organisés depuis hier soir par les forces de l’ordre. Une centaine d’objets coupants et contondants ont déjà été confisqués.

2 000 manifestants et autant de policiers et gendarmes sont actuellement présents dans la vallée de la Maurienne, à proximité du chantier du tunnel ferroviaire du Lyon-Turin. Depuis ce vendredi 16 juin, les opposants ont établi leur camp de base sur la commune de La Chapelle, en Savoie, près de l’auroroute A43.

A l’appel du mouvement écologiste «  Les Soulèvements de la Terre « , une manifestation contre le chantier de construction du tunnel Lyon-Turin est toujours prévue ces samedi 17 et dimanche 18 juin malgré l’interdiction décidée par le préfet de la Savoie.

Les manifestants affluent depuis hier matin vers la vallée de la Maurienne, rencontrant sur leur chemin un important dispositif des forces de l’ordre.

Des centaines de personnes contrôlées

Ce vendredi 16 juin à 19 heures, la gendarmerie avait déjà contrôlé 145 personnes dans 95 véhicules.

Au total, 119 objets coupants et contondants ont été confisqués. Sur les photographies communiquées par la gendarmerie nationale, on peut également apercevoir des marteaux ou encore un poing américain ou encore des masques, certainement destinés à se protéger des gaz lacrymogène. Les contrôles se poursuivent, 2 000 policiers et gendarmes quadrillent la zone.

Selon les autorités, des « contrôles aléatoires sont actuellement effectués des deux côtés de la frontière franco-italienne. » Il s’agit de « contrôles d’identité, de passages aux fichiers ainsi que des fouilles de véhicules et de bagages le cas échéant » , indique la porte-parole du ministère de l’Intérieur.

Manifestation interdite dans neufs communes en Maurienne

Le préfet de la Savoie «  a interdit toute manifestation ou rassemblement sur la voie publique du vendredi 16 juin au dimanche 18 juin 2023 dans neuf communes de Maurienne « . La Chapelle, où sont actuellement rassemblés les manifestants, ne fait pas partie des communes concernées.

Les manifestants s’organisent

Une conférence de presse est organisée ce samedi 17 juin depuis 10 heures par les organisateurs de la manifestation, sur le camp de base de La Chapelle, en Savoie.

Olivia Boisson , Renaud Gardette , Jean-Christophe Pain et Pierre-André Delbecq pour FR3

Poster le commentaire

Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Mobilize your Site
View Site in Mobile | Classic
Share by: